mercredi, mai 14, 2008

Poésie humaine

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Quelques gouttes de bien-être.

L'hiver fut rude. Par-ci par-là des petits tas de neige résistent encore à la nouvelle saison. L'été arrive enfin pour me sortir de mon cloître hivernal. J'utilise le soleil comme médecine. Je prends du soleil comme d'autres prennent des pilules. Je baume mes peines à coups de nature...

Premières journées à saveur d'été. La chaleur, étrangère à mes immédiats souvenirs, caresse mes jambes nues. Le soleil me brule délicatement la peau des bras et j'aime cela. Ici l'on ne connait que trois véritables saisons. Il n'y a que trois saisons qui ressemblent à quelque chose, l'hiver, l'été et l'automne. Ici le printemps ne ressemble à rien. C'est juste une transition entre deux extrêmes.

Tout comme la neige a fondu, ma silhouette reprend forme, mes efforts portent fruits. Je le remarque dans les regards masculins. Je constate l'intérêt de ces hommes qui tournent la tête et me regardent de nouveau. Je ne suis plus invisible. J'ai considérablement maigris. Je ne le vois pas par moi-même (j'ai toujours la même maladie moderne qui sévit chez tant de femmes à différents degrés). Ce que je n'arrive pas à discerner dans le miroir, je le perçois dans les yeux de Juan qui pétillent de désir. Je le sens dans la fluidité de mes mouvements. Mes muscles portent mon corps de plus en plus souple. Je me sens de plus en plus à l'aise dans ma peau raffermie. Je ne suis toujours pas satisfaite de mon cas mais peu à peu, les dégâts de ma grossesse s'estompent dans le temps. Je demande à Juan:

- Ça y est, j'ai retrouvé une taille normale? On peut-tu dire que c'est une réussite?
- Oui, d'où tu reviens je dirais même que c'est un exploit!!!

Je ronchonne, un exploit, cela le sera lorsque je pourrai me regarder dans une glace sans grimacer. Ceci un processus complexe. Au moins, maintenant, je peux me regarder dans un miroir et reconnaitre celle que je vois (admettre celle que je suis). Il est vrai que si j'en crois les magazines féminins ma perte de poids est exceptionnelle mais vu comment ma prise de poids fut phénoménale, je n'en vois pas l'incroyable. Je n'arrive pas à m'en féliciter sans me rappeler la honte initiale que j'ai ressentie une fois prisonnière de ma chair de gélatine. Un jour, alors que je parlai avec une amie de cette prise de poids débile qui me permit d'enfanter ma fille, elle s'est innocemment exclamée:

- Whaou, je savais même pas qu'on pouvait prendre autant!
- Yep, parait que c'est rare, en plus j'ai même pas mangé pour quatre, ni pour deux! Si au moins je m'étais goinfrée, cela aurait fait du sens! Y'aurait une justice! Dire que j'ai appris à manger équilibré en tombant enceinte! Mais mon corps habitué aux privations est devenu comme une éponge, l'horreur! Je mangeais une pomme et je prenais une livre!!!! Enfin, j'ai quand même pondu un joli bébé en santé même si j'ai failli y passer...

Je ne veux plus combattre mon corps. Je me suis battue avec lui durant toute ma vingtaine, il s'est vengé sur ma trentaine. Il a su tirer profit de ma grossesse pour m'abattre à plate couture. J'en comprends les leçons. Même si je bataille encore, nous ne sommes plus en guerre. Désormais je respecte mon corps, petit à petit il devient un ami. Je commence même à lui pardonner les tortures qu'il m'a fait subir. Je muris. Je veux juste retrouver un confort personnel, retrouver ma séduction et un bien-être physique. Pour cela, il me faut accepter les dommages irréversibles de ma peau déformée. Et pour arriver à l'accepter, il me faudra suer encore un peu. Je ne fais pas de régime. Dans mon cas, c'est inutile. Cela irait plus vite si je me privais mais cela ne ferait que recommencer le même cycle destructif. J'ai appris ma leçon de vie. Tout est question de métabolisme, être sensée et raisonnable suffit. Je n'aime toujours pas faire de l'excercice mais je m'y plie de bon gré, mon corps aime tant cela qu'il m'en remercie et je l'apprécie. Au moins, tout n'est pas perdu, après dix-huit mois à travailler mes pectoraux, j'ai les seins qui se raffermissent et remontent, un petit miracle en soi...

Premier bateau posé sur l'eau, c'est le début de l'invasion. Bientôt la pureté de ce paysage sera dénaturée par des dizaines de coques à moteur. Le plaisir des hommes prendra, comme à son habitude, la nature en otage. Tous ces bateaux à essence feront un bruit d'enfer sans se préoccuper du paradis des autres. M'zelle Soleil me dit avec joie:

- Oh! Maman, regarde, y'a un bateau!
- Oui, ma puce, je vois...
- Poupoi y'a un bateau?
- Parce-ce que c'est l'été qui revient. Tu sais, maman, elle aime pas beaucoup les bateaux sur le lac...
- Moi, z'aime bien les bateaux...
- Oui, je sais...

Un instant solitaire. À l'horizon, l'activité humaine emplit la quiétude de la nature, une scie, des coups de marteau, une voiture, un avion. Un Canadair au dessus de ma tête fait des allers et retours entre l'azur du ciel et le bleu de l'eau. Je l'observe transvaser des masses liquides d'un coin à l'autre. Le lac étoilé de reflets d'argent respire le calme et la paix. L'air cristallin comme le son de l'eau qui frémit sous mes pas transporte mes émotions. L'eau douce rafraichit et soulage ma peau. Au loin, Kahlua, chien de son état, se baigne à grand coups d'éclaboussures qui sortent Chanelle de sa torpeur divine. Je lève la tête. J'accroche du regard une colonie de têtards qui fait des bulles à la surface du lac. Je médite en silence. Sur le quai oublié, en toute solitude, je fais quelques abdos. Je respire la beauté qui m'entoure. Je récite des mantras dans la ligne du soleil qui m'éclaire. La vie est jolie...

Chaque existence possède sa propre poésie. Pour oublier la présence de ces maux qui m'aspirent les heures, je pars à la recherche de la mienne. Ma poésie, je la découvre en ce petit coin de lac déserté. Je l'inspire. Elle scintille. Je l'apprivoise en ces quelques pas qui font bruisser l'eau limpide...



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