vendredi, avril 04, 2008

D'hier a aujourd'hui, un océan...

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D'hier a aujourd'hui, un océan... et quelques ouragans...

J’avais un peu moins de quinze ans. J’étais à l’école en cours de religion ou morale, je sais plus trop, l’un de ces cours où l’on va une fois sur deux et que l’on n’écoute que d’une oreille lorsque l’on y est. Ce jour là pourtant fut différent. Le sujet du jour tournait autour de nos ambitions futures. Il y avait un tour de table, l’on devait être une quinzaine d’élèves. Chacun devait expliquer ce qu’il désirait dans son futur, une tâche pas toujours facile lorsque l’on n’a pas encore quinze ans…

Ma voisine de table était une camarade sans être une copine. Elle ne faisait pas partie de ma clique. Arrive son tour. Vu qu’elle est juste avant moi je prends la peine de faire attention à ce qui va sortir de ses lèvres. Et voilà qu’elle me sort la chose la plus inimaginable pour mes oreilles de jeune fille moderne. Elle explique : « Moi, je veux être mère au foyer. Je veux trouver un mari, avoir des enfants et m’en occuper à la maison ». Je me souviens être restée bouche bée, les yeux écarquillés, complètement sidérée. « Mais de quoi est-ce qu’elle parle? On est pas au Moyen Âge! C’est quoi cette ambition de mer…! » Je m’insurge en mon fort intérieur, je n’arrive tout simplement à enregistrer son désir. Moi je veux être archéologue, journaliste ou interprète! Je veux avoir 3 maisons, dix amants, pas d’enfant et plein d’argent! C'est quoi cette ambition anachronique? Arrive mon tour. Encore sous le choc, décontenancée sans savoir vraiment pourquoi, je fais ma clown de service et passe rapidement le relais à mon voisin. Je regarde ma voisine de table silencieuse, effacée, sereine. Je ne comprends pas. Comment ne peut-elle désirer qu'être femme au foyer??? Son désir fait naître en moi un malaise que je discerne sans arriver à y voir clair. Mon cerveau fait des tours dans le vide. Arrive la fin de cours, c’est plus fort que moi, j’ai besoin de comprendre, je l’arrête dans le couloir. Pour la première fois je lui adresse la parole, je la sens qui s’en étonne :

- Dis, machinetruc, c’est quoi ton trip? Je comprends pas, tu veux vraiment être mère à la maison? Mais pourquoi????

La voilà qui me regarde en se demandant si c’est du lard ou du cochon. Je lui envoie une vague de gentillesse et un sourire tout en poussant davantage :

- Non mais, c’est vrai, j’avais jamais entendu une idée pareille! Tu veux pas avoir un métier, faire de l’argent, être indépendante, tu veux juste avoir des enfants???

Je la vois qui reprend confiance, elle s’ouvre et s’anime alors qu’elle m’expose son point de vue :

- Non, pas vraiment, je m'en fous un peu, je veux juste avoir plein d’enfants, au moins trois pour sûr! Pis je veux rester avec eux, m’occuper de la maison, passer du temps avec eux. Je veux être comme ma mère, j’aime bien comment elle est ma mère…
- Ta mère travaille pas?
- Non, elle s’occupe de mes frères et je trouve que c'est bien ce qu’elle fait pour nous. Alors je veux être comme elle quand je serais vieille!!!

La sonnerie qui annonce le retour en classe me fait lâcher le morceau. Je n’ai plus de cours ensuite. Je cours retrouver des copines. Au fond de moi je sais que je suis troublée mais je l’oublie consciemment. Ce trouble bizarre naît de toutes ces petites douleurs que je trimballe à l’intérieur, de ces petites douleurs qui ne m’empêcheront pas de vivre et m’amuser! Pourtant le soir venu, au creux de mon lit, revient le souvenir de cette fille et de son envie bizarre. Je me souviens qu’il me fallut des semaines pour ne plus y penser dans les silences de ma tête, pour arriver à étouffer ce malaise qui me prenait aux tripes lorsque j’essayais de comprendre ce qu'elle avait voulu exprimer. Elle me semblait à des années lumières de ma réalité. Je ne lui ai plus vraiment reparlé si ce n’est pour dire bonjour en coup de vent...

Vingt ans plus tard, ce moment d'antan me revient en mémoire avec une clarté mystérieuse. En fait il revient hanter mes mois glacés avec une vivacité exacerbée. Il fait des bonds dans ma mémoire pour se mêler à mon présent. Il me harcèle. Il devient comme un son de cloche dès que j'essaie de réfléchir. Ces dernières semaines, j’y pense plus qu’il n’est sain de le faire. J’y pense et finalement je comprends. Cela s’éclaircit dans ma tête. Dans le flou de mes inconsciences, une petite lumière s'allume. Petit à petit je réalise que toutes ces choses qui m’ont échappées ne m’échappent plus. Je réalise que celle dont j’ai oublié le visage mais pas l’envie sincère était la première fille de mon âge qui exprimait l’idée de maternité accomplie. Je ne sais même pas si j'en ai croisé d'autres depuis! Les vocations maternelles ne sont toujours pas à la mode occidentale.

En ces mois d'hiver intense, dans le creux de mes journées, je comprends enfin ce que je n'avais pas compris à l'époque. Je comprends désormais cet instinct que je possédais sans en avoir conscience. Pour moi qui suis issue d’une lignée de femmes fortes et indépendantes, de celles qui ont participé à la libération de mon sexe, le concept de la femme au foyer était si désuet que l’on y pensait même pas. C’était un échec pas un épanouissement. Ce n’était pas le genre de chose qui faisait rêver la famille. Pour moi petite fille de parents qui avaient divorcés avant même que je ne sache marcher, pour moi qui n’avait aucune notion paternelle et qui vivait dans une dynamique monoparentale, l’idée de la mère au foyer était complètement extraterrestre à mes fondations. Je n’arrivais même pas à en concevoir le fonctionnement. C’était une idée complètement étrangère à ma vie. Je me souviens de cette incompréhension intérieure qui me parcourait lorsque j’essayais d’imaginer une telle vie.

Vingt ans plus tard, me voilà rendue maman à la maison! Dieu que la vie est faite de toutes sortes de tours et détours qui s'enroulent et se déroulent sur ce fil d'existence qui est le nôtre! Vingt ans plus tard, cette incompréhension profonde a été remplacée par une compréhension quotidienne. Je trace mes jours en un monde inconnu. Je suis présentement ce à quoi je n'étais pas destinée. Peut-être est-ce cela la liberté? Ne pas se voir forcée de vivre selon les préceptes de ceux qui vous précèdent. Vivre simplement, comme on l'entend, selon ses propres volontés distinctes.

Mais qu'est-ce que le destin? Combien d'identités pouvont nous traverser en une seule vie? La vie n'est-elle pas composée (dans le meilleur des cas) que de passages et de carrefours, de réalisations et de constructions? Maintenant que je vieillis je découvre que la vie est faite de toutes sortes de nuances que je ne pouvais imaginer lorsque j’avais quinze ans. Une vie humaine à l'échelle terrestre c'est très court mais lorsqu'il faut la vivre sur sept ou huit décennies, une vie humaine peut paraitre bien longue à celui qui en porte la peau (surtout lorsque les hivers semblent interminables)...

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