samedi, décembre 02, 2006

Seule dans la tempête…

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Seule dans la tempête…

Juan devait aller chercher la petite chez ma mère en sortant du bureau et rentrer ensuite. C’était sans compter la première petite tempête de la saison. Nous sommes tellement prévoyants que nous n’avons pas encore de pneus neige sur l’auto! Comme la tempête à commencé méchamment avec une bonne accumulation de grésil, nous voilà bien mal pris...

Je regarde la rue devant chez moi et je vois apparaître une lourde croûte d’hiver aussi blanche que verglacante. L'on s'entend qu'il vaut mieux que Juan et le bébé passent la nuit en ville. À peine la décision prise, à peine le téléphone raccroché que l’électricité saute et plonge le village dans le noir…

Je cherche à tâtons une chandelle et un briquet. Le vent hulule dehors. La tempête fouette les arbres qui me protégent. J’ai un téléphone sans fil, plus d’électricité, plus de téléphone…

Je m’habille et je traverse la rue avec précaution pour ne pas glisser. Je cogne à la porte de Yolande, toute heureuse de me voir. Elle m’offre thé et gâteau. C’est la première fois que je rentre chez elle. C’est encombré, les "bébelles" débordent de partout, mais c’est propre et cela sent bon. Je lui emprunte son téléphone antique pour prévenir Juan de la coupure. Je pousse un chat pour m'assoir. Alors que je m’apprête à composer le numéro, j’ai un arrêt mental sur image. Mon cerveau zappe un petit coup. Le téléphone beige est à roulettes! Mon dieu, depuis combien de temps n’ai-je pas utilisé un tel appareil!?! Tellement habituée à « pitonner », je dois me concentrer pour retrouver les bons chiffres. Mon doigt dans le petit trou tourne la roue et fait jaillir le bruit caractéristique de la roulette qui se déroule. J'ai l'impression de faire un petit bond dans le passé.

Une fois mon téléphone fait, je reste une petite heure à papoter avec Yolande. J'en profite pour découvrir son mari Roger, être énigmatique qui l’a mariée à 73 ans après 50 ans de vie commune. Un vieil homme taciturne, si calme que le contraste qu'il dégage avec la personnalité exubérante et bavarde de Yolande m’amuse et m'intrigue. J’arrive à lui faire décrocher trois phrases en lui parlant du temps qu’il fait. Il est gentil mais d’une discrétion qui le fait presque disparaître parmi les meubles. Yolande me parle du lac d’antan, me sort des papiers, certains anciens, certains récents m’offrant ainsi des connaissances plus qu’intéressantes, vitales. Je finis mon thé et ma part de tarte au sucre. Yolande me prête une grosse torche électrique. Je rentre en mon antre…

Le choc du silence. Pas une onde électromagnétique pour le déranger. De fortes rafales de grésil se fracassent contre mes fenêtres. Si ce n’est des éléments qui se déchaînent dehors, à l’intérieur le silence est total. Une bougie sur la table éclaire la pénombre. La torche que m’a prêtée Yolande est super pratique. Je n’ai peur que de mes démons intérieurs. C’est dans ces instants sans repères qu’ils sont le plus prêts à jaillir pour torturer l’esprit fragilisé. Ma torche à la main, je les attends de pied ferme. Je m’assieds à la table. J’éteins la torche. J’écoute la tempête…

L’horizon grogne de rage. Les vents tournoient autour de la montagne, ils s’abattent sur nous en de violentes bourrasques. Je soupire. Mes amours me manquent terriblement. Je réfrène mon imagination et ses scénarios d’Armaggedon. Juste le soupçon de ce que serait la vie sans eux me bouleverse. Ils font battre mon cœur. À la lumière vacillante de la bougie, je réalise à quel point l’amour que je ressens pour mon homme et mon enfant est puissant. Seule dans la tempête, je comprends clairement à quel point ils me sont chers. Qu’il y a-t-il de plus important dans la vie que les gens que l’on aime? Qu’il doit être triste de passer une vie sans aimer. Dans l’opacité de la nuit tourmentée, je ne vois rien d’autre que les lueurs de mon cœur.

Lorsque tout ce qui nous distrait de l’essentiel s’éteint, il ne reste plus que la brillance de l’amour dans nos cœurs. Cet amour qui guérit tout ce qu’il touche. Ou pour certains malheureux la noirceur de la haine. La haine qui détruit tout sur son passage.

Une accalmie approfondit le silence. L’absence de mes proches dans cet étrange vide me serre les entrailles. Les chats m’entourent de leur calme olympien. Chanelle me suit comme une ombre. Ils me rassurent. Sans eux, je serais sûrement moins vaillante et je serais peut-être allée me réfugier chez Vivi sur la rue d’en face. Les mêmes conditions en compagnie de Juan sont douces de romantisme. Mais ce soir c’est seule que je subis les événements…

Il faut toujours faire bien attention à ce que l’on souhaite car l’univers parfois écoute attentivement. J’avais souhaité un peu de solitude, me voilà bien servie!!! Je pense à la chaleur du corps aimé, à ses bras tendres, à la vitalité pleine d’espérance de bébé. Mon cœur est un océan d’amour où je me noie. Je regarde danser la flamme de la bougie dans le noir. Il flotte dans l’air une saveur de simplicité oubliée…

Que serions nous sans les commodités modernes? Serions nous plus humains, moins frivoles? Est-ce que l’humain est frivole, de nature superficielle? Ou est-ce une conséquence de notre société actuelle?

Je pense à la vie d’antan. La vie sans ordinateur, sans frigo ni radiateur, sans téléphone ni machine à laver. La vie sans électricité. Durant des millénaires l’humanité a vécu et évolué sans le miracle électrique. En moins de 100 ans le monde à fait un gigantesque bond technologique et nous a fait perdre une bonne partie de notre savoir ancestral, de ce savoir humain récolté tout au long des siècles passés. Serions-nous désormais capable de nous débrouiller à l’ancienne? Je sais, que personnellement, je ne la trouverais pas facile du tout! En si peu de temps nous avons oublié tellement des façons de l’ancien temps, qu’en sera-t-il dans un autre 50 ans? Le rythme du changement n’en finit plus de s’accélérer mais qu’en serait-il si tout s’arrêtait d’un coup? Le chaos assuré…

Nous sommes si privilégiés et pourtant si peu satisfait de nos sorts. Qui n’en veut jamais plus? Toujours consommer, exploiter, polluer, toujours en désirer davantage. Plongés dans un tourbillon de futilités qui nous éloigne si souvent de l’essentiel. Puissant, le vent reprend des forces, je l’entends gronder au loin. Je l’entends bousculer la forêt. Il encercle mes quatre murs. Je suis bien petite devant les fureurs de la nature. Le village plongé dans l'obscurité est bien minuscule sous les assauts de la Terre…

Je vais me coucher. Quatre chats dans mon lit ronronnent en chœur, simple bonheur, douce chaleur. J’écoute tournoyer la tempête dehors. Un sommeil serein se dessine derrière mes paupières closes. D’un coup, l’électricité revient. J’ouvre les yeux. Je suis presque déçue (enfin pas trop quand même!) de retrouver mes repères confortables. Je commençais à apprivoiser et à apprécier cette atmosphère dénuée d’électricité.

La tempête s’affaiblit. Il ne neige plus. Je sors dehors. La rue est recouverte d’une épaisse couche de neige vierge. J’y trace des pas. Il fait froid. Tout est d’un blanc immaculé. Rien ne bouge. Le lampadaire m’éclaire. Le tempo (garage temporaire) s’est pris une petite raclée. Sans chaussette dans la neige, je sens le froid s’insinuer en moi, je rentre. Trois minutes plus tard, le téléphone sonne. Sa voix est au bout de la ligne…

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