lundi, octobre 23, 2006

Québécité

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Québécité et tolérances

J’entre dans un magasin du coté ouest (anglophone) la rue Ste-Catherine à Montréal. Il est presque neuf heures (l’heure de la fermeture). J’entends soupirer les femelles en grappe autour du comptoir. Une vendeuse se détache du petit groupe et m’accoste en anglais. Je lui réponds en français. Elle poursuit en anglais, je poursuis en français. Je vois Juan sourciller mais ne rien dire. J’appuie la conversation en français, elle bafouille et commence à un peu perdre les pédales. Elle essaie de m’expliquer que son français est rudimentaire...

Elle regarde sa montre avec insistance. J’erre nonchalamment entre les rayons de vêtements soigneusement présentés. Elle me suit comme un petit chien perdu. Elle me répète, en anglais, que le magasin ferme dans 10 minutes. Je lui réponds d’un ton sec, en anglais, que je le sais. Elle ne sait plus trop quoi dire. Comme je n’avais pas l’intention d’essayer ou même d’acheter, je sors tranquillement du magasin cinq minutes avant l’heure de fermeture.

Une fois sur le trottoir, troublée, je prends une grande bouffée de pollution pour chasser l’énervement qui m'inonde. Le brouhaha urbain avale mon humeur. La soirée se poursuit sans tracas, avec bonheur, pourtant une petite graine (de lys) s’est plantée dans ma cervelle…

Le lendemain je discute avec Juan :

- Tsé quoi, l’autre soir, c’est la première fois que j’ai refusé de switcher à l’anglais. J'avais jamais refusé de ma vie de parler en anglais. Mais elle m’a énervée à ne pas être capable de parler français! Dans ma tête j’avais comme un écho qui résonnait et qui disait : « T’es au Québec ma Tabarnak, parle donc français d’abord! ».

Il me répond surpris :

- C’est pas parce-qu’elle était un peu conne? Quand je t’ai vue aller je pensais que tu ne voulais pas lui parler en français parce qu’elle était chiante. Je pensais pas c’était pas que c'était politique!

- Ouais, ben c’est sur qu’elle était énervante et que cela a pas aidé! Un facteur qui en amène un autre! Mais quand je me suis retrouvée sur le trottoir, je me suis choquée moi-même par la violence de mes pensées! C’est depuis que j’habite en brousse, en périphérie de Québec village, bastion de la défense linguistique. Parce-que, c'est weird mais, je le sais que je suis dans l’Ouest de la ville, en terrain anglophone, je sais que Montréal est bilingue, je sais que si ce n’était pas le cas, je ne le serais pas non plus. Montréal m’a rendue bilingue! Et c’est mon bilinguisme qui me fait gagner une croute. M'enfin la fille elle était pas pentoute bilingue! En fait, j’avais jamais ressenti ce genre d’émotions genre patriotiques avant, j’crois bien, que je me québécise…

Ces émotions guérrières m'ont étonnées, trop intolérantes à mon goût, elles me furent désagréables, aussi étrangères que puissantes. L'émotion qui bute l'esprit. Je crois qu'il est temps que je retourne plus souvent en ville, pratiquer mes tolérances...

Le lendemain, pendant que Juan est en conférence, je retourne me perdre dans le coeur urbain de Montréal. Je retourne dans le magasin anglophone. Une charmante vendeuse haïtienne au français chantant m' accompagne. Je finis par découvrir le parfait pantalon noir. J'en ressors les poches vides. Je marche entre les gouttes de pluie. Seule, entière, à savourer l'anonymat, à profiter de cette liberté de femme, avec délice, le temps de quelques heures, je me plonge dans l'excès citadin. Je me laisse porter par les vitrines aux mille tentations, aux promesses invisibles.

En marge des lumières, dans les recoins obscurs, je vois plus de mendiants que dans mon souvenir. Après une longue marche, une errance littéraire (en anglais) au "bookstore Chapter" et un savoureux café à la citrouille au Starbucks, je garde ma monnaie pour retrouver une femme au teint buriné qui m'a marquée l'esprit. Une amérindienne imbibée de désespoir mais rayonnante d'un soleil intérieur. Une fleur fanée dans la grisaille locale.

Je la retrouve, sans mal, au coin de Peel et lui offre quelques pièces. Son sourire illumine l'instant. Elle me souhaite des "Good Day et God be with you" à la pelle. Je me retiens de lui parler. Jeune, je me souviens vivement de ces discussions cosmiques que j'avais avec les junkies de cette rue. Je me retiens de la prendre en photo. Je ne veux pas perturner le bien-être de cette minute partagée. Je lui souris, le regard plein de chaleur, je me tais. L'instant se dissout dans le passé. Je poursuis mon escapade solitaire.

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