vendredi, août 19, 2005

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De brac et de blogue

L’autre jour, en discutant avec une jolie demoiselle perdue dans un champ de mais, j’ai réalisé que j’avais commencé ce carnet de mots virtuels à la sortie d’une épreuve de vie plutôt traumatisante pour ma pomme.

En effet, le 24 août 2002, Juan se cassa le cou en sautant bêtement dans ce grand lac que j’aime tant. Ce fut pour lui un énorme choc physique et quant à moi je me retrouvai emportée dans un tsunami d’émotions fracassantes.

Les anges veillaient sur sa peau ce jour là, malgré une importance fracture cervicale de nature instable, il ne paralysa complètement qu’une quinzaine de minutes avant de retrouver la plupart de ses sens. Après le réflexe d’aller passer une radio à l’hôpital de brousse non loin, l’on découvrit sa cinquième cervicale explosée. D'urgence, il fut envoyé aux soins intensifs à Québec ville! Deux jours plus tard, il se remettait tant bien que mal d’une grosse opération qui dura plusieurs heures, lui balafra le cou et sauva sa vie. Il lui manquait juste un petit bout de hanche qui trouva sa place entre ses vertèbres rescapées et une plaque de titane pour soutenir le tout. Six jours passèrent avant qu’il ne rentre en béquilles à la maison, amaigri, affaibli, fragile mais vivant, se mouvant difficilement avec l’espoir de pouvoir un jour retrouver sa forme d’antan. Ce qui n’était pas négligeable vu les séquelles que peuvent provoquer ce genre d’accident. Il avait 22 ans, était diabétique depuis ses 15 ans et venait d’effleurer les ailes de la mort…

J’avais 29 ans, des souvenirs de paralysie adolescente qui remontaient à la surface de mes jours, une autre année d’université à enclencher. J’étais présidente d’une asso littéraire sur le campus avec une foule d’activité à organiser sur mon calendrier. Une année difficile se dessinait à nos horizons mais l’espoir était comme un soleil qui forçait les ténèbres du traumatisme. Je découvris en moi des réserves de volonté et des trésors d’énergie physique. Je brûlai mes ailes de papillon rebelle sans y faire attention mais je continuais d’avancer coûte que coûte, vaille que vaille ! Dès que Juan reprit du poil de la bête, je me sentis sur le bord de m’effondrer. Lorsqu’il eut retrouvé le plus gros de sa forme, je me sentis vidée, minée, prête à m’écrouler aux moindres souffles du destin. Mais nous avions survécu ! La chance avait sourit dans notre malheur et avait épargné mon homme d’une sentence à vie. Il avait juste perdu une année scolaire, ses muscles bandants qui me faisaient mouiller en deux temps trois mouvements et son moral en avait pris pour son grade. Mais enfin la vie pouvait reprendre son cours normal. J’avais passé mes examens, avait survécu à mes responsabilités. Je remerciais le ciel de ses bienfaits ainsi que la chirurgie moderne ! Cependant je me rendais compte que j’avais aussi subi un choc, une incroyable frayeur qui avait bouleversé ma tête et mon cœur, un choc qui me laissait dégoulinante d’émotions partagées.

J’avais besoin d’oublier les mauvais jours pour reconstruire ce nid de bonheur bordé de tendresses respectives. J’avais besoin de rebâtir l’avenir. Avec les mois qui s’effaçaient, Juan était moins gringalet, il se remusclait, reprenait ses cours, se trouvait un emploi dans son domaine d’étude et recommençait à construire un futur. Il n’était pas diminué, si ce n’est quelques douleurs qu’il pouvait facilement relativiser vu la gravité de ce à quoi il avait échappé !

C’est à peu près à cette époque que je tombai par hasard sur une blogosphère souterraine, inconnue du grand public. J’avais alors publié quelques nouvelles et je désirai une plus grande discipline d’écriture dans ma vie. Je sautai dans le bateau sans trop savoir dans quoi je m’embarquai, prête à me lancer dans cette étrange aventure virtuelle. Prête à voguer sur d’autres flots, vers de nouveaux horizons, prête à oublier les mauvais jours pour n’espérer que le meilleur de l’existence.

Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort dit le dicton ! J’imagine que nous n’étions alors que plus forts d’avoir traversé ce désert ! C’est donc à cette période de ma vie que je commençai à me virtualiser, par défi, sans soucis, ni réelles attentes si ce n’est celles d’avancer toujours plus loin. Le cœur plein d’amour et d’espoir, la tête remplie d’idées loufoques…

J’étais une internaute depuis le milieu des années 90. Je surfais la Toile, j’avais déjà fait quelques sites pour m’amuser, je possédais quelques notions d’HTML mais je n’avais jamais vraiment échangé avec quiconque virtuellement. Ce blogue m’a permis de découvrir d’autres sphères, d’autres gens. Je me suis liée d’amitié par delà l’écran avec quelques personnes qui me trouvèrent à mes balbutiements. J’ai laissé couler les mots au fil du temps. Moi qui n’avais jamais été capable d’être fidèle à un journal intime, je suis devenue loyale envers cet espace virtuel. J’ai publié d’autres nouvelles de papier dont plusieurs ont vu leurs brouillons consommés dans ce coin là. J’ai aussi gagné quelques onces de confiance en moi. J’ai laissé de coté les débats, les querelles, les jalousies du Web qui ne m’intéressent point pour me concentrer sur la nature, la Terre, ce qui fait le meilleur de notre humanité sans pour autant ignorer le pire…

Puis j’ai fini mon programme universitaire et comble de surprise voilà pas que j’attends désormais un bébé ! La vie s’est déroulée sous mes pieds. Il y a eu des joies, maints bonheurs partagés, des bonnes doses de pauvreté non avouée, quelques désespoirs dérobés, certaines tristesses, des images qui se sont greffées à ce petit coin de mots et sans m’en rendre compte, j’ai adopté ce jardin virtuel, je m’y suis attachée…

Je refuse toujours de le prendre trop au sérieux. Je n’en suis jamais entièrement satisfaite mais je l’ai apprivoisé. J’apprécie cette discipline qu’il me procure, ces regards qu’il m’offre. J’ai adoré cette ouverture sur le monde qu’il m’a donné. C’est pour toutes ces raisons que je ne l’ai jamais abandonné. Avec les années, c’est devenu une sorte de compagnon, un témoin de mon existence réelle.

Depuis que je suis enceinte, je suis plus fatiguée, plus fragile, moins productive, cela me désole un peu. Ce jardin virtuel n’est plus aussi pédagogique, la culture y tient moins de place, cela m’ennuie. Mais tout comme je refuse de le prendre trop au sérieux, je refuse de m’apitoyer sur ces détails sans importance. Il évolue avec mes humeurs, ma santé, mon quotidien et puis un jour, tout reviendra bien comme il se doit lorsque cela sera le temps ! Pour l’instant, je me contente de jardiner de l’intérieur cette petite graine qui pousse en mes entrailles. J’espère qu’elle deviendra la plus jolie des fleurs que je n’ai jamais cultivées. Une grosse partie de mon monde (de mon corps) tourne présentement autour de ce petit bout de vie qui grandit au chaud, dans mon ventre rebondi. Je lui dédie cette partie de mon être, de ma vie. Je voudrais pouvoir lui offrir le meilleur de ce que nous sommes. Je crains souvent le pire. Juan me rassure, me raisonne. J’en appelle aux anges pour protéger ce petit bout de fille qui nous a choisi…

C’est une nouvelle étape qui se construit dans le grand chantier de nos destins conjugués. Je pris pour que cette petite fille naisse en santé, pour que nous sachions l’aimer à sa juste valeur, la couver sans l’étouffer. Lorsqu’elle sera venue au monde, elle transformera notre univers mais je crois que je pourrais alors retrouver une certaine liberté d’esprit et de corps. Retrouver cette partie de moi que je partage de l’intérieur. Je serai mère, un nouvel état qui sera supposé m’enrichir et non m’appauvrir. Je veux balayer les angoisses une autre fois pour n’espérer que la lumière des jours heureux. Attraper ces moments de joies pour me réconforter lorsque passent les orages qui font de la vie ces quotidiens terrestres qu’il nous faut tous surmonter.

Ce petit coin d’invisible abritera encore mes mots épars, se nourrira de ces instants d’existences, de toutes ces petites choses que j’aime partager au détour d’une phrase, d’une image. Brouillon de mes fictions. Laboratoire de mes envies. Babillard de mes pensées, de mes passions. Rien d’autre qu’un léger concentré d’humanité que je suis la première à consommer. Les modes passent, les humains restent. Les lecteurs vont et viennent à leur guise, qu'y puis-je? Ma pomme roule dans une bulle de cœur et d’esprit ouverte sur l’inconnu…

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