vendredi, février 25, 2005

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Opération chili gratuit

Hier matin, avant de partir, je prends mon appareil numérique, m’apprête à le mettre dans mon sac lorsque la voix du doute s’insinue dans mon esprit : « Franchement, tu vas jamais prendre de photos aujourd’hui! Y’a beau faire beau, entre ta rencontre de groupe, ta rencontre de prof et le reste des choses que tu as à faire, tu vas jamais trouver le temps ou la mood! Allez sois raisonnable, penses à ce que tu as à faire! » Dépitée, je repose sans mot dire l’appareil, et file dans le froid et la ville. J’arrive sur le campus et l’on commence à travailler sur ce projet à rendre bientôt…

Le local de traduction où nous travaillons n’est pas bien loin de la cafétéria. Notre bâtiment abrite entre autres la faculté des lettres, celle de droit, de sociologie, d’anthropologie et l’école des langues. Au sous-sol se trouve la cafétéria, immense espace rempli de tables rondes et de gens qui discutent et révisent, les photocopieuses dans un coin, les petits cafés étudiants sur les cotés, en son milieu l’espace bouffe de Sodexho. Là où le petit café se vent 1.25 et le sandwich 5 $. Sodexho a le monopole sur le campus, un monopole économique, semi politique, un pouvoir certain qui n’arrête pas d’énerver les étudiants de sciences politiques et autres programmes connexes! Moi, je suis en lettres, mon chemin est parsemé de dictionnaires, la politique m'ennuie. Bref, tout cela a tendance à me passer un peu au-dessus de la tête! Enfin pas tant que cela puisque depuis l’ouverture des cafés étudiants, il y a deux ans, je n’ai plus remis les pieds chez Sodexho! Je sais que plusieurs assos ont fait campagne pour ouvrir ces espaces bouffes alternatifs. En ce qui concerne mon implication, je me contente d’y aller pour les soutenir et ne pas trop déprimer mon porte-feuille. J’ai aussi entraîné durant les pauses multiples camarades qui se dirigeaient chez le géant « crosseur »

- Hein, tu vas acheter ton café là! Mais c’est des voleurs! Viens, on va aller chez les avocats, c’est bien moins cher. Il y a chez Pol aussi mais là y’a toujours la file. Come on' tu vas pas donner tes sous à eux autres! En plus ils sont même pas sympathiques!

Je suis devenue fidèle au local des étudiants en droit qui vendent le café 50 sous, (le même qui est 1.25 en face, eux, ils me laissent prendre un petit café dans une grande tasse sans rien me dire et avec le sourire. Chez Sodexho, je suis fait plusieurs fois engueulée par cette façon de faire :

-Ah non! Si tu prends une grande tasse, tu payes le prix du format de ta tasse et non du café!
- Mais, c’est un petit que j’ai pris! Je mets beaucoup de lait, pis j’aime pas que cela déborde alors je préfère une grande tasse, ça fait moins de dégâts!
- Alors, faut que tu payes la grande tasse, nous on peut pas faire d’exceptions, c’est des questions d’inventaire!!!

Quand je dis que c’est des voleurs! Deux fois, j’ai dû payer mon petit café 2 $ parce-que les règles sont les règles! Il ne va pas s’en dire que lorsque s’est constituée l’initiative étudiante pour concurrencer cette grande entreprise, j’ai appuyé à ma petite échelle ce projet qui est désormais bien implanté autour de la cafétéria. Mais pour en revenir à mon chili, hier sur le coup du midi, l’on entend un peu de branle-bas du coté de la cafétéria. Un gars entre le local et dit :

- Man, y’a full action à la cafet! Y’en a qui distribuent du chili gratuit pour protester contre le monopole de Sodexho! Les "cops" sont là, y’a genre 10 voitures de police dehors. Ils veulent empêcher la distribution du chili gratuit!

Je lève le nez des modulations, transpositions, adaptations et autres concepts de l’analyse qui nous enracinent là. Déjà, je sens pointer une larme de déception : « Fu.. !!! Et j’ai même pas pris mon appareil ce matin! ». L’on se replonge dans nos problèmes mais je ne peux résister à l’idée d’aller voir ce qui se trame. Je prétexte une petite faim pour quitter les filles concentrées et me dirige vers l’action….

Je vois une dizaine de policiers faire barrière devant Sodexho, à quelques pas, des étudiants ont organisé une cantine sur une table. Une énorme marmite d’au moins 60 litres y est déposée avec deux bacs d’eau rudimentaires pour faire la vaisselle des assiettes de toutes sortes alignées dans un coin. Les plus vieux et les plus « straights » se faufilent entre deux policiers pour aller s’approvisionner chez les voleurs bien protégés. Devant l’énorme marmite une file d'étudiants colorés attend tranquillement de se faire donner une portion de chili maison. Je m’incruste dans la file, prends une assiette et attends mon tour en examinant les lieux. Les cameras de TVA ne sont pas loin, sur le coté un étudiant aux cheveux longs tergiverse avec un policier. Les deux se font face tandis qu’un autre étudiant chevelu filme le débat agité. Je n’ai franchement jamais vu autant d’action à la cafétéria. Tandis que j’attends mon tour, je me ronge les doigts et m’en veux profondément d’avoir reposer mon appareil photo ce matin! Maudits doutes à « marde »! J’arrive devant l’énorme marmite, une jeune fille souriante me verse une bonne platée dans mon assiette à fleurs. Je lui rends son sourire. Je retourne retrouver mon groupe qui étudie. J’entre dans le local avec mon chili. Steph me demande :

- Hein, c’est vrai, ils donnent du Chili?
- Ouais, y’a la police mais elle fait rien pour l’instant, pis tout le monde se sert, allez-y, il est pas mauvais, ça manque un peu de sel, mais pour le prix on va pas s’en plaindre. Pis l'idée est bonne...

Cela ne prend pas de temps pour que les trois filles se lèvent de table. Je déguste avec plaisir mon chili illégal et incite tous ceux qui passent par le local à faire de même! Évidemment, il suffit que l’un montre l’exemple pour que le troupeau se déniaise! Quelques garçons de passage s’amusent de la commotion. L’on continue le travail dans l'agitation. L’on entend quelques cris. Je macère mon écœurement intérieur. Comment ais-je pu reposer cette maudite machine à matin! Crotte de bique! Je rate toute l’action, pour une fois que j’aurais pu attraper un peu d’actualité!!! Dieu que je m'en veux...

Je lève les yeux sur la pendule et me rends compte qu'il est temps que je retrouve Mélie pour une rencontre au sujet d’un autre cours. Je quitte les filles et m’apprête à traverser la cafétéria lorsque d’autres cris résonnent, la foule entoure quelque chose, c’est plus fort que moi, je vais voir. Je me faufile entre deux voyeurs pour voir un jeune homme à terre, en position de fœtus, contrôlé par deux policiers. Quelques étudiants s’énervent sur le coté, la foule regarde, silencieuse. La table et la marmite ont disparu. Je remarque que plusieurs policiers sont tachés de chili, je ne peux m’empêcher de m’en amuser, mon regard se pose sur un policier complètement tartiné, je manque de pouffer de rire. Le chili lui dégouline dans le cou, il en a plein la joue, les cheveux, la chemise, le pantalon. Mais quelle action! Juste le jour où mon extension numérique est absente! "Câline de bine" ! Je suis verte, rouge, jaune, mauve! Si j’étais masochiste, je crois bien que je me fouetterais jusqu’au sang! Je me contente de rejoindre Mélie qui observe la scène depuis les escaliers. L’on s’éloigne de l’action, l’on monte les escaliers, quelques cris se font encore entendre. L’on s’en veut un peu de rater la fin des événements, je m’en veux surtout d’être les mains vides! Cela "m'anarve"!

- Y crois-tu qu’aujourd’hui j’ai pas pris mon appareil!
- Hum, j’imagine que cela va ne risque plus de t’arriver! Ça aurait fait des photos excellentes! J’avais jamais vu ça, t’aurais pu les donner à l’Impact comme t’étais sur place!
- Man, je sais, je suis verte! T’as-tu vu le cop tartiné de chili, c’était killer! Je prenais des images mentales pour compenser le manque...

Mélie rigole, d’habitude, je la prends en train de grimacer parce-que bon, y’a pas grand chose qui se passe sur le campus, alors je m’amuse de ses faces que je garde secrètement cachées dans quelques dossiers oubliés! L’on retrouve le prof qui nous attend pour discuter de ce travail que l’on doit rendre dans quelques semaines, un article sur la rédaction professionnelle. Pas de problèmes pour le charmer de notre duo d’enfer, il précise notre sujet qui n’en devient que plus intéressant. Trente minutes plus tard, nos chemins se quittent, je retrouve la cafétéria calmée, Sodexho fermé et les filles de mon autre groupe qui photocopient à la chaîne des pages de dictionnaires…

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