jeudi, décembre 30, 2004

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Je revisite cette histoire déjà gribouillée une nouvelle fois pour la polir et la maîtriser davantage. Goom redémarre ainsi, en cette période des fêtes, un autre tour de manége imaginaire...

Goom (Épisode un)

Au fond d’une forêt dense, aussi sauvage qu’ignorée des hommes, vivait un ogre noble. Goom avait des pieds aussi longs que trois péniches, massif, gentil, différent, il était ce que les autres ne sont pas. Au cœur de sa forêt sacrée, les arbres majestueux étaient des villages animés, aussi gigantesques que des gratte-ciel naturels, leurs troncs servaient de maisons pour les familles du pays d’Ogronum. Parfois Goom se souvenait avec douceur du temps où il vivait encore avec les siens. Désormais, bien caché à la frontière de la contrée des gnomes maudits, sa maison posée au bord de la rivière damnée, il habitait là où aucun ogre n’osait aller…

Depuis quelques siècles déjà il vivait une existence de reclus, il existait principalement grâce à ses souvenirs chéris. Il subsistait avec peine, sans y réfléchir, ne sachant quoi attendre de sa vie, il flottait au gré des jours améliorant son domaine de mille petites choses sans importances. Souvent lorsque la lune devenait mauve et qu’il entendait chanter les grenouilles venimeuses, il se repassait en boucle ces instants qui, malgré lui, déterminèrent cette existence solitaire.

Tout s’était déclaré si vite, en quelques lunes seulement toute sa vie avait été bouleversée, ruinée, déchirée par cette soudaine sensation qu’il ne comprenait guère. Il se rappelait pourtant très bien de ce matin si différent où il se réveilla pour ne plus jamais être le même….

C’était le lendemain d’un énorme banquet qui avait fait vibrer la forêt durant toute la nuit. Il se souvenait encore très bien de sa dernière bouchée. Imbibé de liqueur d’abeille, il avait erré jusqu’aux baraquements des garde-manger et sans s’en rendre compte, il avait croqué cette petite Kaelle qu’il connaissait si bien. Cette petite Kaelle, pas très belle, lui avait laissé un drôle de goût aigre sur le palais. Un goût amer, désagréable, définitif! Un goût qui lui avait envahi toute la bouche comme une étrange maladie. Avec le temps passé, il avait réalisé que c’était certainement ce soir là qu’il avait perdu le goût de la chair humaine. Pire encore, c’est certainement à partir de ce soir là que celle-ci avait commencé à le dégoûter profondément. Après avoir jeté les restes de la petite dans la fosse à poubelles, il était retourné se coucher sans se douter de ce qui l’attendrait le lendemain.

Ce matin là, il se leva plus tard qu’à son habitude et prit le chemin des cuisines pour surveiller le bon travail de ses apprentis. Il ne se sentait guère en forme. En passant devant les garde-manger, l’odeur des enfants frais et en santé lui donnèrent la nausée. C’est la mine bleuâtre qu’il rencontra son frère Tsum sur le pas de l’énorme salle à manger. Pratiquement tous les Ogres et Ogresses de la région étaient déjà partis pour l’autre dimension. La fête allait se dérouler sur plusieurs lunes et il était nécessaire de chasser chaque jour de la chair fraîche. Des bambins, des têtes blondes, brunes, rousses, tout était bon à manger. L’on ramenait aussi quelques adultes mâles pour la reproduction et des femelles pour renouveler l’élevage car celles-ci étaient réputées pour leur chair savoureuse et juteuse. Elles étaient abondamment cuisinées durant les périodes de fêtes.

Normalement Goom vivait ces périodes fastes dans une sorte de transe joyeuse mais ce matin là après avoir discuté un peu avec son frère, il ne se sentait pas à son aise, il décida de retourner se coucher jusqu’au retour des habitants du village.

Au soir tombé, lorsque Goom sortit de sa chambre pour rejoindre sa famille sur la place où se tenait un autre banquet gigantesque, l’odeur des dizaines de corps en pleine cuisson, la vue des gigots marinés lui devint vite insoutenable. Il commença à vomir sans pouvoir se retenir, à pleurer, à frissonner. Tous les Ogres du village le regardaient, bouche bée, ne sachant que faire devant une telle situation. Les énormes pieds de Goom semblaient danser et martelaient le sol en une cadence effrayée, il suffoquait de tout son être et personne n’osait l’aider. Il se releva un instant, péniblement il arriva à se tenir debout, mais en un incroyable hoquet qui fit frémir les feuilles et les plantes, il s’effondra sur un plateau d’enfants prêts pour le four qu’il broya en une énorme purée dans sa chute inconsciente.

Ses frères le portèrent jusqu’à la cabane éloignée qu’ils possédaient prés de la rivière damnée et retournèrent festoyer. Le jour d’après, le village commençait déjà à oublier l’esclandre étrange de Goom. Les Ogres possèdent une mémoire incroyablement courte. L’instinct les guide plus que la pensée et en quelques jours seulement Goom s’effaça simplement de la mémoire collective au grand soulagement de ses plus proches parents, très inquiets de voir diminuer le respect de leur lignée pour les générations à venir.

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