dimanche, mars 28, 2004

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Autobiographie fictive, Sans titre...

À sa mort, un sombre jour de pluie, ma maîtresse a hurlé comme une lionne en rage. Ses boucles folles se sont animées comme des êtres vivants. Ses larmes se sont mélangées à la pluie et un énorme nuage noir est venu s’installer autour de ses vibrations...

Elle a tant pleuré que j’ai cru qu’elle allait se noyer. Je ne savais que faire pour la consoler. Je n’aime pas quand Maîtresse pleure. Ses douleurs me tordent le cœur et c’est automatique, j’en perds le goût des souris et de la chasse...


Deuxième partie

Mais avant de passer à autre chose, revenons un instant à Grégère. Ce grand frère ébène qui me fit découvrir la vie de chat d’intérieur. Ce maître félin avec qui je vécus mes premières explorations extérieures. Enfin si l’on n’oublie la fois où je suis tombé du balcon. « Quel con » me dit Grégère lorsque je retrouvai les hauteurs de la maison...

Ce jour de chute était un jour d’été. Il faisait chaud à Montréal. Maîtresse et ses amis étaient partis pour la fin de semaine. Je voulais jouer avec Grégère mais sans faire attention, je glissai, volai et tombai du balcon pour atterrir en un seul morceau trois étages plus bas! J’avais à peine 5 mois et j’eus plus de peur que de mal! Je me relevai en un seul morceau. Un peu sonné et pas mal terrifié, je trouvai un trou où me terrer. J’attendis d’entendre mon nom. Les heures passèrent, interminables, je n’osais sortir de ma cachette, trop de sons étrangers pour me faire frissonner les poils du menton. L’on me trouva en fin de journée alors que le soleil allait se coucher et que je commençais à vraiment paniquer....

De chaton insouciant, je devins un jeune chat plein de vigueur. Je voulais tout apprendre, tout connaître, tout comprendre. Je suivais à la trace Grégère qui était l’ombre de Maîtresse. Je découvrais ce petit bout de femme, reine de mon univers félin. Parfois à l’ombre d’un placard je questionnai mon frère...

- Pourquoi Maîtresse des fois elle oublie nos croquettes? Elle nous aime plus tu crois?
- Mais non, tu es nigaud quand tu veux. C’est parce qu’elle est pas là, tu vois pas quand les amis viennent la chercher et qu’elle ne revient que deux ou trois soleils plus tard?
- Si, je sais, d’ailleurs j’ai toujours peur qu’elle ne revienne pas! Mais c’est quoi des amis?
- Ça je sais pas trop, des fois je comprends pas bien les « deux pattes »! En général je la comprends bien elle, mais le monde des « deux pattes » souvent m’échappe...
- Mais tu as bien une idée, ça sert à quoi des amis?
- Je sais pas trop. Les siens ont l’air de la faire rire, de la divertir, elle doit jouer avec eux pour ne pas s’ennuyer un peu comme toi et moi quand on joue à la souris imaginaire...
- Ah! Mais j’ai jamais vu de souris...
- Bon tu me casses les pattes avec tes questions, lâche moi un peu, je veux dormir seul...


Comme la porte qui s’ouvrait sur l’ailleurs ne s’ouvrait jamais pour nous. J’étudiais Maîtresse, cela occupait mon temps entre deux croquettes et trois sommes...

Grégère pensait souvent à la porte qui menait vers l’ailleurs inconnu et bruyant. Il voulait croquer des herbes, grimper des arbres, chasser, tuer des proies à déguster saignantes. Il s’en plaignait souvent. Maîtresse s’en rendait compte. Elle se posait entre nous deux, nous caressant longuement...

Nous ronronnions à l’unisson et elle nous murmurait à l’oreille « Vous êtes beaux mes minous, je vous promets un jour, je vous donnerai la liberté du dehors. Je vous donnerai un extérieur sans voitures ni dangers. Un dehors avec des souris à chasser et plein de choses à grignoter.. Un jour, vous serez libre, je vous le promets... »

Elle tint sa promesse. C’est dans un domaine de fée que nous explorâmes la forêt qui me parut la première fois enchantée de magie inconnue. Je suivais Grégère plus heureux que je ne l’avais jamais connu dans nos années passées ensemble. La vie était douce, Maîtresse était bonne, les saisons passaient aussi surprenantes les unes que les autres. Je me rappelle chuchoter à Grégère les jours de soleil brûlant :

- Tu as vu, elle part encore se promener nue. Si elle aime se promener nue, pourquoi elle met des tissus les autres temps quand elle s’en va ailleurs?
- Je sais pas trop. Peut-être qu’elle essaie de se faire pousser des poils pour plus nous ressembler quand elle est là! Allez, viens on va la suivre dans la forêt. Elle va sûrement aller griffonner son cahier sur le gros rocher, y’a plein d’écureuils à attraper là bas...


Nous la suivions avec passion dans ces promenades d’arbres et de roches. J’aimais voir scintiller sa peau dorée au soleil des chaudes journées de cette époque bénie. Je pensais que la vie continuerait toujours ainsi. J’étais en pleine forme. J’adorais chasser les petits serpents que je mâchouillai avec délice sur la terrasse ensoleillée....

Pourtant une sensation de changement se profila bientôt à l’horizon et arriva le jour du grand départ. Nous retournâmes en ville quelques temps. Nous traversâmes l’Atlantique, et nous nous retrouvâmes de l’autre coté de l’océan. Peu de temps après mon frère succomba et Maîtresse pleura. Après avoir mangé ce mystérieux poison qui l’emmena tout droit au pays des ancêtres, Grégère ne me parla plus pour m'expliquer les choses du monde. Je devais continuer seul. Ma vie ne fut plus tout à fait pareille, j'avais perdu mon frère....

Après sa mort, Maîtresse commença à ne plus vouloir vivre avec celui que je considérais comme mon père sur deux pattes. Un jour aussi gris que les autres, elle fit ses valises. Elle partit et je restai seul avec ce père qui ne s’occupait guère de mon bien-être. Elle revenait puis repartait et cela durait toujours un peu plus longtemps...

Je m’inquiétai beaucoup de ma Maîtresse et l’absence de Grégère pesait lourd sur mon moral. Il y eut bien Pomme d’Api qui me changea quelques temps les idées. Petit chaton gris et coquin, il me tint compagnie quelques lunes. Mais il disparut un jour de printemps pour ne plus revenir...

Je n’ai pas bien compris la suite des jours de cette période mouvementée de ma vie. Nous avions changé de maison peu après la disparition de Pomme d’Api. Maîtresse ne revenait plus. J’étais triste et je m’ennuyais beaucoup. Mon père me fit découvrir Paris. Dans le seizième, je fus le plus malheureux de toute mon existence féline. Mon père avait dans son lit des amies qui n’étaient pas ma maîtresse. J’avais beaucoup de peine. Les lunes passaient et je me demandais si je la reverrais un jour...

Je m’endormais tout le temps en pensant à elle. Je revoyais sa chevelure bouclée et ses sourires tout doux. Je crus mourir d’angoisse. Mais j’étais devenu un mâle. Lorsque je traversai une dernière fois l’Atlantique pour retrouver mon sol natal, je repris espoir en la vie...

Mon père me déposa dans un nouvel endroit que je n’avais jamais vu. Je retrouvais ma maîtresse adorée, ses mots caressants, son visage aimant et ses boucles folles. Mon père repartit, je ne le revis plus...

Ma maîtresse était souvent triste. Nous étions seuls dans cette petite cabane perdue au milieu de la campagne. J’explorai la forêt non loin. Elle m’avait trouvé un énorme jardin ou jouer et chasser. Chaque soir, je m’endormais à ses cotés une patte dans ses boucles. J’étais si heureux, j’aurais voulu que cela dure toujours, elle et moi, seuls, tranquilles, loin du monde fou des « deux pattes » qui s’activent nuit et jour...

Arriva alors un homme que je ne connaissais pas. Un grand « deux pattes » avec des boucles comme celle de ma maîtresse. La première fois que je le vis, je restai perplexe...

L’insolent s’installa dans notre lit et bien vite dans notre vie. Maîtresse était moins triste et j’aimais cela mais ce garçon ne m’inspirait guère confiance. Il ne voulait plus que je dorme dans le lit et passait tout son temps à caresser ma maîtresse qui riait. Peu à peu je m’habituai à sa présence parmi nous. Boites après boites je finis même par l’apprécier et l’aimer comme j’avais aimé mon premier père....

Bientôt notre famille s’agrandit. Maîtresse adopta une drôle de chatte adulte avec la face toute plate! Elle avait bien mauvais caractère. Pourtant ma douceur eut vite fait de ses colères et nous devinrent de bons amis malgré nos races différentes. Je finis même par la trouver belle avec son minuscule nez qui s’enfonçait entre ses deux yeux citrouilles. Je ne le savais pas encore, mais cette drôle de chatte allait révolutionner ma vie...

À suivre...

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